En accomplissant la promesse faite naguère à Abraham, Dieu fait dire à Marie, à propos de l’enfant qu’elle va concevoir : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. » En vingt-quatre heures cette année, du quatrième dimanche de l’Avent à la solennité de la Nativité du Seigneur, nous méditons successivement l’événement majeur de l’Annonciation, le « oui » de Marie, et la naissance de Jésus. Dieu prend chair dans le cours de l’histoire humaine troublée, à l’occasion de ce recensement décidé par un pouvoir romain qui, trente-trois ans plus tard, prononcera l’arrêt de mort contre le Roi des Juifs.

Ce Dieu qui s’abaissera « devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2, 8), s’abaisse déjà en naissant : pendant que Joseph et Marie étaient à Bethléem pour le recensement, « le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Lc 2, 6-7).

« Pas de place pour eux ». En venant nous sauver, ce Dieu qui prend la condition humaine se range avec ceux qui n’ont pas de place, pas leur place. Une nuit de Noël, en 1856, un prêtre de Lyon en fut bouleversé, pour le restant de ses jours. Nommé six ans plus tôt dans le quartier de la Guillotière, ce jeune prêtre, le Bienheureux Antoine Chevrier, découvrit la grande misère d’habitants rejetés hors de la ville, dans un quartier qui connaissait régulièrement les inondations que causaient les crues du Rhône. « C’est en méditant cette nuit-là sur la pauvreté de notre Seigneur, que j’ai décidé de vivre le plus pauvrement possible. C’est le mystère de l’Incarnation qui m’a converti. Ma vie est désormais fixée », écrira-t-il plus tard. L’oeuvre du Prado était née.

J’espère ne pas faire d’amalgame en relevant les points communs qui existent entre l’histoire de ce prêtre et l’histoire de notre paroisse. A la fin du XIXe siècle, le quartier de Plaisance était peuplé de tâcherons et de manœuvres, occupant de modestes masures, pour parler par euphémisme. C’est pour eux, ou plutôt pour leurs enfants, qu’une institutrice, Mlle Acher, ouvrit en 1885 une modeste école où l’abbé Soulange Bodin venait faire le catéchisme. C’est pour eux que ce prêtre installa peu après un oratoire dans le quartier. C’est pour eux encore qu’ils fonda les Oeuvres du Rosaire, dont l’abbé Emmanuel Boyreau, vicaire comme lui à la paroisse Notre-Dame de Plaisance (future Notre-Dame du Travail), deviendra directeur. Fondant en 1911 notre paroisse, l’abbé Boyreau, nous le savons, agrandit l’école Notre-Dame du Rosaire (devenue aujourd’hui l’école Bienheureux Charles de Foucauld), créa cercles, patronages et multiples associations.

L’abbé Boyreau, nous le savons, avait été très marqué par l’encyclique Rerum novarum. Trente-cinq ans après la « conversion » d’Antoine Chevrier, vingt ans avant la fondation de la paroisse Notre-Dame du Rosaire, le pape Léon XIII y écrivait notamment ceci : « Qu’on ne pense pas que l’Eglise se laisse tellement absorber par le soin des âmes qu’elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et mortelle. Pour ce qui est en particulier de la classe des travailleurs, elle veut les arracher à la misère et leur procurer un sort meilleur, et elle fait tous ses efforts pour obtenir ce résultat ». C’était exactement le 15 mai 1891.

Nous ne sommes ni en 1856, ni en 1891, ni en 1911. La physionomie de notre quartier a profondément changé, comme nous l’a récemment rappelé l’exposition du centenaire, proposée à nouveau à nos regards. Pour autant, ceux qui, comme la sainte Famille, n’ont pas de place, ceux au milieu desquels le Fils de Dieu a voulu naître, sont toujours là. Ils sont aux racines de l’histoire de notre communauté. Ils sont à nos portes. Ils sont même parmi nous, quand l’une ou l’un d’entre nous, souffrant de ces mille visages que peut revêtir la souffrance, se sent exclu(e). Mieux que moi qui arrive, et qui pourtant en connais déjà, vous en connaissez.

Que la fête de Noël soit pour nous l’occasion de mieux les accueillir dans notre « salle commune ». C’est une question de fidélité à notre histoire et à ceux qui, avant nous, l’ont faite. C’est une question de fidélité à l’option préférentielle de l’Eglise pour les pauvres. En cette période de fête, ne l’oublions pas.

De tout mon cœur, je souhaite que chacune, chacun, vive un saint et joyeux Noël. Et je vous assure de ma prière.

Père Emmanuel Tois