Je conviens que le métro n’est pas le meilleur moyen pour déménager. Surtout le vendredi soir. Pourtant, ayant encore quelques affaires qui traînent dans telle ou telle cave de Ménilmontant, c’est par le métro que ce vendredi-là je rapportai trois ou quatre sacs et valise. Sur le quai de la station St Lazare, je n’ai pas vu surgir ce jeune qui s’empara rapidement de l’un de mes sacs. Pétrifié de le voir traverser les voies pour aller déposer mes affaires sur le quai d’en face, je fus rassuré quand il atteint son but sain et sauf. Au lieu de me réjouir de cette issue heureuse, fixé sur ma contrariété, vexé de m’être laissé prendre au jeu idiot d’un jeune benêt (tel était à peu près mon état d’esprit), je me rapprochai des comparses de l’adolescent attardé, le temps de leur lancer quelques paroles ni très fines, ni très appropriées.
Pris de remord, le jeune farceur traversa à nouveau les voies pour revenir me rendre mes affaires. Deuxième frayeur, de laquelle je ne fus tiré que par les chuchotements de l’un à son voisin : « Regarde, c’est un curé ! ». Un autre, conscient lui aussi que j’étais prêtre, me lança, pour calmer le jeu : « Il ne faut pas lui en vouloir, mon Père, il a un peu abusé d’alcool, et puis il a juste voulu amuser ses copains ».
Dans la rame, la bêtise -la leur, et surtout la mienne-, laissa place à des échanges profonds que je garde dans mon coeur. Tout au plus puis-je raconter qu’il m’a été impossible de ne pas les quitter sans être affublé du blouson tout neuf, acheté le jour-même, que l’un des jeunes tint à me donner « pour une personne pauvre autour de vous ». Comme il m’a été impossible de refuser la somme -importante pour le budget d’un étudiant- qu’un autre déposa dans ma poche : « pour votre paroisse ».
Quelle belle jeunesse !
Père Emmanuel Tois