C’est un métier difficile que celui de juger. Devant les mêmes agissements, les perceptions peuvent diverger, et donc les décisions se contredire. La justice étant rendue par des hommes et non par des logiciels -c’est heureux-, il ne peut en aller différemment. Et avec les garanties qu’offrent les systèmes judiciaires des démocraties, notamment la possibilité de faire appel, il y a peu de place, le plus souvent, à l’arbitraire.
Les faits de non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs dont le cardinal Barbarin vient d’être reconnu coupable illustrent bien ces difficultés de rendre la justice. A deux reprises, en 2016, le procureur de la République de Lyon avait classé sans suite les plaintes déposées contre lui. Si l’on en croit la presse, l’un des éléments de discussion les plus déterminants était la date à laquelle le cardinal avait eu connaissance des faits reprochés au père Preynat : soit dès 2010, à une date où ces faits n’étaient pas prescrits, soit en 2014, à une date où, prétendait sa défense, la prescription de ces faits ne lui imposait pas de les dénoncer. Les débats sur la preuve de la date à laquelle une personne poursuivie a eu connaissance d’un fait ne peuvent pas, tant cette preuve-là est difficile à faire, être exempts de subjectivité.
Mais peu importe. Aujourd’hui, la décision du tribunal correctionnel est rendue. Une appréciation souveraine a été portée. Elle n’est certes pas définitive, puisqu’un appel a été formé, mais elle nous invite à une réflexion qui dépasse le terrain juridique. Indépendamment de son sort personnel, pour reprendre l’expression que le cardinal Barbarin a lui-même utilisée, indépendamment aussi du sort de l’appel qu’il a interjeté, le jugement qui vient d’être rendu marque un tournant important pour les enfants victimes d’abus sexuels. Intervenant dans un contexte qui favorise une prise de conscience des ravages, souvent irréversibles, que causent les infractions sexuelles, il provoquera immanquablement un regain de vigilance dont personne ne peut honnêtement prétendre qu’il n’est pas salutaire. Une ère nouvelle s’ouvre pour toute l’Eglise, fidèles, prêtres et évêques. Elle en a besoin.
Emmanuel TOIS+