Eucharistie du coeur (Nicolas Lhernould, évêque de Constantine)

Jésus a commencé par écouter, pendant trente ans, avant de commencer à prêcher. A son exemple,
il faut nous mettre à l’écoute de la Parole, longuement, avant de l’annoncer, parfois par des mots,
toujours par notre vie ; mais aussi à l’écoute de l’autre, que cette Parole veut rejoindre: de sa
langue, de sa culture, de sa recherche de Dieu… Écouter dans la prière comment et combien Dieu
aime l’autre vers lequel il m’envoie. Et ainsi, faire déjà beaucoup de bien à l’autre par la prière, ce
lieu où mystérieusement, en le portant dans mon coeur et mes pensées, je peux déjà l’aider à
s’approcher de Dieu en m’en approchant moi-même.
On ne sait presque rien sur la manière dont Jésus a « écouté » à Nazareth. On ne peut que l’entrevoir
derrière sa façon de parler, lors de sa vie publique. On peut aussi imaginer qu’à l’exemple de Marie,
sa mère, il passa de longs moments à méditer dans son coeur tous les événements, à les y garder,
les y recueillir, non pour lui-même, mais pour déjà les offrir à son Père, les préparer à la rencontre
avec lui. Eucharistie du coeur avant la première messe que Jésus célébrera le soir du Jeudi Saint.
A l’image de Jésus, garder au coeur visages, événements, sans négliger les plus insignifiants au
premier regard ; y déceler, y reconnaître la lumière de Dieu, présent, silencieux, caché. Offrir cela
dans le secret, sur l’autel intime du coeur, en rendant grâce à Dieu pour l’autre tel qu’il est, pour sa
beauté qu’il tient de lui, en invoquant sur lui toute la bonté de Dieu. Ainsi, préparer la rencontre,
comme on pétrit une pâte qui lèvera plus tard et deviendra du pain. Mais aussi, déjà, la vivre au
plus intime qui soit, là où le regard trouve sa joie à contempler l’autre au meilleur de lui-même, tel
que Dieu le regarde et l’aime à chaque instant.
L’eucharistie du coeur prépare, et en même temps prolonge, celle où Jésus se donne sur l’autel de la
messe. Dans la mesure où l’offrande de la messe embrasse le poids d’amour contemplé dans la vie,
recueilli dans la prière, célébré dans le coeur et porté à l’autel. Dans la mesure aussi où la messe
s’étire et se prolonge en action de grâce, en rencontre, en partage, en un mot, en amour et en vie.
Exercer, sur cet autel du coeur, notre responsabilité de collaborer à la mission de Jésus, de présenter
au Père toute l’humanité. Dans un geste d’offrande, et dans la certitude que ce travail intérieur,
comme celui d’une mère sur le point d’enfanter, transforme, irrigue et illumine le monde, d’une
manière que Dieu connaît, selon les voies que lui seul sait. La prière associe toute l’humanité, ainsi
présentée sur l’autel du coeur, portée dans le silence vers la rencontre avec la source de toute vie,
au mystère de la rédemption, qui rejoint tous les êtres humains, créés par Dieu lui-même à son
image et à sa ressemblance. Nul besoin que l’autre soit conscient ni même consentant. Rien
pourtant en cela ne force sa liberté. Gratuité d’un amour qui embrasse l’autre comme un frère, en
l’associant au mystère dans la foi, dans le secret et le respect de la prière, sans jamais prétendre ni
même tenter de le posséder d’aucune manière.
Quand bien même nous n’aurions plus rien à faire, quand auraient disparu toutes les oeuvres
extérieures d’un bel apostolat, quand les circonstances, même, empêcheraient de célébrer la messe,
rien ne pourrait faire disparaître cette opportunité quotidiennement à notre portée d’offrir tout
l’homme au Père sur l’autel de nos coeurs. L’homme concret, rencontré, regardé, touché, nourri,
guéri, écouté ; l’homme servi et aimé, en commençant par le plus petit, auquel Jésus lui-même a
voulu s’identifier. Car ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, dit-il dans l’évangile, c’est à
moi que vous l’avez fait.
Quelle charité plus grande, au-delà de tous les secours nécessaires que l’on peut apporter à
quelqu’un, que de l’accompagner un peu plus encore au seuil de la rencontre avec celui qui seul est
bon, en l’introduisant par le labeur de la prière, dans le lumineux mouvement du mystère de la
rédemption ? Souvent – et même toujours – on se rendra compte en deçà du visible qu’en réalité,
c’est Dieu qui est à l’oeuvre en tout cela, et que derrière les traits de ceux et celles que nous lui
présentons, c’est lui qui vient à nous et qui, sans cesse, se donne.

+ Nicolas Lhernould
Evêque de Constantine
Février 2020.

Tu es en prison (Hans Urs Von Balthasar “Le cœur du monde”)

Mon fils, entre le milieu de la nuit et le froid du matin, au moment où ils me trainèrent pour la deuxième fois devant le juge, j’ai séjourné dans ta prison.
Seul, battu de verges, objet d’opprobres j’étais enchainé à un poteau, je pensais à toi et au jour qui allait poindre.
Ta prison, je l’ai goûtée ; rien de son odeur de pourriture amère et fade ne m’a été épargné. Toutes les prisons de tous les êtres qui se débattent désespérément contre la liberté de Dieu, je les ai traversées jusqu’à la cellule la plus secrète. Là, au fond, au plus bas de toi-même, dans l’obscurité et la honte de ton impuissance et de ton refus, j’ai choisi ma demeure. De même qu’une petite racine fait se briser les pierres les plus lourdes, ainsi j’ai doucement ébranlé la paroi de ta prison. Maintenant encore tu te raidis avec la force du désespoir contre mon amour, mais déjà ton bras commence à faiblir, peu à peu tu cèdes à ma poussée.
Je ne révélerai pas le mystère par la force duquel j’ai surmonté ton désespoir (…) Ma grâce a pu le réaliser : voilà ce qui importe seul. Lorsque, enfermé en toi-même, tu méditais avec angoisse sur la profondeur de ton échec, tu étais étrangement divisé en ton être, tu étais séparé de toi-même. Ton unité – dans cet embrassement douloureux de la volupté et du repentir – était une pure apparence. Légèrement, sans que tu le remarques, je t’ai dissocié, et je t’ai donné ainsi la véritable unité.
Tu ne t’inquiètes plus de progresser et c’est bien ainsi. Tu ne ferais jamais que progresser en direction de toi-même. Jamais les pas accomplis par toi ne t’auraient fait réellement avancer.
A présent dépose tout souci au sujet de toi-même, laisse le mort enterrer ce qui est mort, détourne ton regard de la misère de tes liens et dirige vers ma misère un long regard attentif. Tu verras ce que tu ne voulais pas croire. Ta prison est devenue ma prison, et ma liberté ta liberté. Ne cherche pas à savoir comment cela est arrivé, mais réjouis-toi et rends grâces.

Exigences philosophiques du christianisme (Maurice Blondel, 1950)

Et tout le sens de l’épreuve à laquelle nous sommes soumis est de nous configurer à la vie divine en faisant, non pas disparaître, mais reculer nos limitations humaines. A ce point de vue, les souffrances les plus incompréhensibles, d’abord, quand on veut les expliquer ou par une simple expiation pénitentielle ou par un mérite purement moral, s’éclairent d’une lumière nouvelle et triomphante : oportuit pati et ita intrare in gloriam ; nécessité, non pas par fatalité ou brimade, mais au contraire par besoin de procurer à l’homme cette transformation qui l’amène à être d’autant plus capable d’union qu’il a été plus refoulé, plus écartelé, plus agrandi par les purifications passives. En un sens même il faut dire que cette union comporte une intimité d’autant plus complète que les âmes ont été d’abord plus sevrées en apparence des joies, et que, pour prévenir toute confusion, les stigmates des épreuves présentes resteront à jamais comme les marques glorieuses et protectrices ; en sorte que, l’absorption étant à jamais rendue impossible par les épreuves dont l’éternité n’effacera jamais les traces rayonnantes, l’union pourra au contraire être d’autant plus pénétrante que les rigueurs auront été plus implacables.

Prier sans jamais se lasser (Pape François)

Méditation matinale en la chapelle de la Maison sainte-Marthe le 11 octobre 2018, rapportée par l’Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n°045 du 6 novembre 2018).

Prier avec courage, avec constance, et même avec insistance, sans jamais se lasser; car la prière n’est pas une baguette magique, mais une recherche, un travail, une lutte, qui demande volonté, constance et détermination. C’est ce qu’a souligné le Pape, en indiquant également deux modalités concrètes de prière: celle de sainte Monique pour implorer la conversion d’Augustin et celle d’un père de Buenos Aires — qu’il a connu — accroché pendant une nuit entière à la grille du sanctuaire de Luján pour demander la guérison de sa petite fille mourante. Comme de coutume, le Pape s’est inspiré pour son homélie du passage liturgique de l’Evangile de Luc (11, 5-13), dans lequel «il y a trois réalités: un homme dans le besoin, un ami et un peu de pain».
Voilà les éléments identifiés par le Pape pour actualiser la réflexion: «le besoin, l’ami et un ami qui a du pain. Ainsi, le Seigneur veut nous enseigner comment prier. Dans le passage cité» ci-dessus le Seigneur dit: “Je vous le dis, même s’il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d’ami, il se lèvera du moins à cause de son insistance et lui donnera tout ce dont il a besoin”. Un mot: «insistance. Et par cela le Seigneur veut nous enseigner comment prier». D’où les modalités concrètes de prière suggérées par le Pape. «On doit prier avec courage, car quand on prie, c’est qu’on a besoin de quelque chose». Et Dieu est un ami, c’est même «un ami riche qui a du pain, qui a ce dont nous avons besoin». Une prière qui se fait donc recherche. Soyez insistants dans la prière. Car quiconque demande reçoit. «La prière n’est pas comme une baguette magique».
Pour François «la prière est un travail: un travail qui nous demande de la volonté, qui nous demande de la constance, qui nous demande d’être déterminés, sans honte. Pourquoi? Parce que je frappe à la porte de mon ami. Dieu est un ami, et avec un ami je peux faire cela. Une prière constante, insistante». Comme celle de sainte Monique, par exemple: «Combien d’années a-t-elle prié ainsi, également avec des larmes, pour la conversion de son fils» Augustin. «Le Seigneur à la fin a ouvert la porte».
Et pour illustrer sa pensée, Jorge Mario Bergoglio a encore une fois puisé à ses expériences personnelles vécues en Argentine: “Quand j’étais à Buenos Aires, dans un hôpital il y avait une petite fille de neuf ans malade qui ne devait pas vivre plus d’une semaine». Quand «les médecins appelèrent ses parents, ils leur dirent: “Nous avons fait tout le possible, mais il n’y plus rien à faire”». Alors «le père, qui était un ouvrier et qui connaissait la réalité de la vie comme Jésus, est parti de la clinique jusqu’au sanctuaire de la Vierge de Luján. Il est arrivé alors que le sanctuaire était désormais fermé. Mais «cet homme resta là toute la nuit, devant le sanctuaire. Et il s’accrochait à la grille du sanctuaire, celle qui fermait le sanctuaire, et toute la nuit, il a imploré la Vierge: “Je veux ma fille. Je veux ma fille. Tu peux me la donner”. Puis, vers 5 ou 6 heures du matin il revint». Et sa femme lui a dit: “Tu sais, les médecins l’ont emmenée pour faire un autre examen, ils ne s’expliquent pas pourquoi elle s’est réveillée et a demandé à manger, et elle n’a rien, elle va bien, elle est hors de danger”. Voilà ce qui est arrivé. Je le sais de manière certaine». Et l’enseignement tiré de cet événement est que «cet homme n’allait peut-être pas à la Messe tous les dimanches, mais il savait comment on priait, il savait que, quand» on est «dans le besoin, il y a un ami qui a la possibilité, qui a du pain, qui a la possibilité de résoudre ton problème». C’est pourquoi, «il frappa toute la nuit».

Poème, d’après les « méditations sur la mort, autrement dit sur la vie » (François Cheng)

Ce poème, lu par le P. Philippe Dumas, sur une mélodie irlandaise.

Etats d’âme (Valérie Nivelon)

Tristesse,
Quand on abîme la liesse.
Tristesse,
Quand on est celui qui blesse.
Tristesse,
Quand on profite de la faiblesse,
Tristesse,
Quand on est celui qui délaisse.

Joie,
Quand on donne et qu’on reçoit.
Joie,
Quand on en vient à rire aux émois.
Joie,
Quand on partage des moments rois.

Froid,
Quand on ne se parle plus ou pas.
Froid,
Quand le silence est devenu roi.
Froid,
Quand la confiance n’est plus là.
Froid,
Quand le bien, on ne le fait pas.

Liesse,
Quand on donne sa gentillesse.
Liesse,
Quand la parole et maîtresse.
Yes,
Quand on choisit la sagesse.
Liesse,
Quand l’amour est richesse.

Foi,
Quand en Dieu on croit.
Foi,
Quand on veut le mieux pour l’autre.
Foi,
Quand par ses actes on est apôtre.
Foi,
Quand Dieu nous dit : « viens c’est par là.
C’est ce chemin : tu seras bien.
Entre mes mains, dans mes bras,
tu verras la lumière qui éclaire les humains.
Foi,
Quand je choisis de dire oui à tout ça.

Prière anonyme

Notre Père, créateur du ciel et de la terre,
Tu es digne de recevoir, louange, puissance, honneur et gloire car Tu es le seul et unique vrai Dieu.
Je Te supplie : entre dans ma maison à l’instant même et élimine tous mes soucis, maladies, peurs, doutes et, s’il te plaît, protège mes frères, mes sœurs, mes enfants, mes amis, toute ma famille et tous les hommes de bonne volonté.
Nous nous présentons humblement aujourd’hui devant toi, relève-nous par ton amour et ton pardon.
Prends pitié de nous, montre nous maintenant ta clémence en purifiant la terre de ce virus et en mettant fin à cette souffrance.
Que le sacrifice suprême de ton Fils unique, JÉSUS -CHRIST, serve à cette guérison-là aussi.
Lui qui a porté sur la croix nos souffrances et nos maladies, lui qui est vainqueur de la mort et du monde, Lui qui ne veut pas la mort du pécheur, mais que le pécheur se convertisse et qu’il vive.
Donne nous de nous convertir, de quitter nos fausses assurances et nos idoles.
Nous t’implorons, Père, Toi, l’auteur de tout bien, par le suprême nom de JÉSUS-CHRIST, qui nous a dit que tout ce que nous te demanderions en son nom nous serait accordé.
Amen !

Le temps … d’un confinement (P. Philippe Dumas)

En écho à la réflexion d’un prêtre de Bordeaux (Et tout s’est arrêté), que ferons-nous après ce temps de confinement qui nous a fait tout arrêter, que ferons-nous ? Saurons-nous donner du temps au temps, prendre le temps, respecter le temps, vivre le temps ?

Violettes blanches, mousses touffues,
Le vent court dans la rue,
Je m’arrête un moment.

Le temps, le temps, le temps, le temps,
Le temps d’un souffle,
Le temps, le temps, le temps, le temps,
d’un confinement (d’un contretemps)

Arrêter la machine à tuer le temps,
Machine à prendre, machine à vendre,
À tout réduire en cendres.

Le temps, le temps, …

Silence des feuilles, silence des fleurs,
Faire silence, faire silence,
Pour écouter ton cœur.

Le temps, le temps, …

Écoute aussi ton frère, écoute tes voisins,
Tends l’oreille, prends la veille,
Attentif à chacun.

Le temps, le temps, …

Et tout s’est arrêté… (Pierre-Alain Lejeune, prêtre à Bordeaux)

Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte mais dont personne ne trouvait le bouton « arrêt d’urgence », cette gigantesque machine a soudainement été stoppée net. A cause d’une toute petite bête, un tout petit parasite invisible à l’œil nu, un petit virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer après ? Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la vilaine petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ?
Après ?
Nous souvenant de ce que nous aurons vécu dans ce long confinement, nous déciderons d’un jour dans la semaine où nous cesserons de travailler car nous aurons redécouvert comme il est bon de s’arrêter ; un long jour pour goûter le temps qui passe et les autres qui nous entourent. Et nous appellerons cela le dimanche.
Après ?
Ceux qui habiteront sous le même toit, passeront au moins 3 soirées par semaine ensemble, à jouer, à parler, à prendre soin les uns des autres et aussi à téléphoner à papy qui vit seul de l’autre côté de la ville ou aux cousins qui sont loin. Et nous appellerons cela la famille.
Après ?
Nous écrirons dans la Constitution qu’on ne peut pas tout acheter, qu’il faut faire la différence entre besoin et caprice, entre désir et convoitise ; qu’un arbre a besoin de temps pour pousser et que le temps qui prend son temps est une bonne chose. Que l’homme n’a jamais été et ne sera jamais tout-puissant et que cette limite, cette fragilité inscrite au fond de son être est une bénédiction puisqu’elle est la condition de possibilité de tout amour. Et nous appellerons cela la sagesse.
Après ?
Nous applaudirons chaque jour, pas seulement le personnel médical à 20h mais aussi les éboueurs à 6h, les postiers à 7h, les boulangers à 8h, les chauffeurs de bus à 9h, les élus à 10h et ainsi de suite. Oui, j’ai bien écrit les élus, car dans cette longue traversée du désert, nous aurons redécouvert le sens du service de l’Etat, du dévouement et du Bien Commun. Nous applaudirons toutes celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont au service de leur prochain. Et nous appellerons cela la gratitude.
Après ?
Nous déciderons de ne plus nous énerver dans la file d’attente devant les magasins et de profiter de ce temps pour parler aux personnes qui comme nous, attendent leur tour. Parce que nous aurons redécouvert que le temps ne nous appartient pas ; que Celui qui nous l’a donné ne nous a rien fait payer et que décidément, non, le temps ce n’est pas de l’argent ! Le temps c’est un don à recevoir et chaque minute un cadeau à goûter. Et nous appellerons cela la patience.
Après ?
Nous pourrons décider de transformer tous les groupes WhatsApp créés entre voisins pendant cette longue épreuve, en groupes réels, de dîners partagés, de nouvelles échangées, d’entraide pour aller faire les courses où amener les enfants à l’école. Et nous appellerons cela la fraternité.
Après ?
Nous rirons en pensant à avant, lorsque nous étions tombés dans l’esclavage d’une machine financière que nous avions nous-mêmes créée, cette poigne despotique broyant des vies humaines et saccageant la planète. Après, nous remettrons l’homme au centre de tout parce qu’aucune vie ne mérite d’être sacrifiée au nom d’un système, quel qu’il soit. Et nous appellerons cela la justice.
Après ?
Nous nous souviendrons que ce virus s’est transmis entre nous sans faire de distinction de couleur de peau, de culture, de niveau de revenu ou de religion. Simplement parce que nous appartenons tous à l’espèce humaine. Simplement parce que nous sommes humains. Et de cela nous aurons appris que si nous pouvons nous transmettre le pire, nous pouvons aussi nous transmettre le meilleur. Simplement parce que nous sommes humains. Et nous appellerons cela l’humanité.
Après ?
Dans nos maisons, dans nos familles, il y aura de nombreuses chaises vides et nous pleurerons celles et ceux qui ne verront jamais cet après. Mais ce que nous aurons vécu aura été si douloureux et si intense à la fois que nous aurons découvert ce lien entre nous, cette communion plus forte que la distance géographique. Et nous saurons que ce lien qui se joue de l’espace, se joue aussi du temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien entre nous qui unit ce côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la mort, ce côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons Dieu.
Après ?
Après ce sera différent d’avant mais pour vivre cet après, il nous faut traverser le présent. Il nous faut consentir à cette autre mort qui se joue en nous, cette mort bien plus éprouvante que la mort physique. Car il n’y a pas de résurrection sans passion, pas de vie sans passer par la mort, pas de vraie paix sans avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans avoir traversé la tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente transformation de nous qui s’accomplit au cœur de l’épreuve, cette longue gestation de nous-mêmes, pour dire cela, il n’existe pas de mot.

Stella Caeli : prière du XIVe siècle en temps d’épidémie

Prier une version chantée du Stella Caeli

Prière du XIVe Siècle en temps d'épidémie

Prière en temps de pandémie

Dieu qui as envoyé Jésus dans le monde pour le sauver, regarde les malades, les fragiles, les âgés. Toi dont la bonté console et relève, donne ta douceur et ta paix à ceux qui souffrent. Donne la grâce qu’il leur faut aux mourants, pour le grand passage. Donne aux soignants, de toute profession si variées, le courage qu’il faut pour exercer leur métier dévoué aux autres dans ce contexte de surcharge de travail, et d’inquiétude pour leur propre santé.
Donne à ceux qui s’inquiète la grâce de la patience, le goût de la vraie vie, et le sens de la foi. Éloigne d’eux l’affolement, la crédulité et les réflexes le égoïstes.
Que ton Esprit donne à ceux qui poursuivaient des buts sans valeur d’y renoncer, pour rechercher ce qui est bon et durable, ce qui est vrai et fiable.
À l’occasion de cette épidémie, donne nous de remettre les pendules à l’heure, de rechoisir nos priorités, et de choisir de renoncer à la vanité dans nos comportements futurs. Nous savons que tu es bon, et qu’il n’est pas besoin de chercher à t’acheter, ô Seigneur, par des pratiques, des prières.
Nous avons besoin de te dire notre crainte, notre peine, notre souffrance, en même tant que notre foi en Toi, qui es allé jusqu’à mourir, en ton Fils, par amour pour nous.
Que ton Esprit nous donne sagesse et force, douceur et patience, intelligence et vrai sens du Royaume, en ce temps où la terre des hommes souffre de maladies.
Qu’Il nous donne aussi l’humilité de compatir avec ceux qui souffrent des guerres, et des catastrophes bien plus cruelles.
Et toi, forte vierge Marie, qui as accouché à Bethléem dans un abri de berger, qui a fui en Égypte le danger du tyran, et qui a vu les soldats torturer à mort ton divin Fils, apprends-nous à traverser en chrétiens cette épreuve inégale.
Toi qui nous a demandé de faire « tout ce qu’il nous dirait », encourage notre esprit de solidarité et elle nous a prié pour les plus souffrant de notre humanité.
Toi enfin qui t’es réjouie de la Résurrection du Seigneur le troisième jour, aide nous à nous rappeler cette joie tous les jours de notre vie, qu’il a rendue éternelle par notre saint baptême, Amen !
P. Frédéric

Prière d’un évêque italien (+ Joseph, évêque italien)

Je reste à la maison, Seigneur !
Et aujourd’hui, je m’en rends compte,
Tu m’as appris cela,
Demeurant obéissant au Père,
Pendant trente ans dans la maison de Nazareth,
En attente de la grande mission.

Je reste à la maison, Seigneur,
Et dans l’atelier de Joseph,
Ton gardien et le mien,
J’apprends à travailler, à obéir,
Pour arrondir les angles de ma vie
Et te préparer une œuvre d’art.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et je sais que je ne suis pas seul
Parce que Marie, comme toute mère,
Est dans la pièce à côté, en train de faire des corvées
Et de préparer le déjeuner
Pour nous tous, la famille de Dieu.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et je le fais de manière responsable pour mon propre bien,
Pour la santé de ma ville, de mes proches,
Et pour le bien de mon frère,
Que tu as mis à côté de moi,
Me demandant de m’en occuper
Dans le jardin de la vie.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et dans le silence de Nazareth,
Je m’engage à prier, à lire,
Étudier, méditer,
Être utile pour les petits travaux,
Afin de rendre notre maison plus belle et plus accueillante.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et le matin, je te remercie
Pour le nouveau jour que tu me donnes,
En essayant de ne pas la gâcher
Et l’accueillir avec émerveillement,
Comme un cadeau et une surprise de Pâques.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et à midi, je recevrai
La salutation de l’Ange,
Je me rendrai utile pour l’amour,
En communion avec toi
Qui t’es fait chair pour habiter parmi nous ;
Et, fatigué par le voyage,
Assoiffé, je te rencontrerai
Au puits de Jacob,
Et assoiffé d’amour sur la Croix.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et si le soir me prend la mélancolie,
Je t’invoquerai comme les disciples d’Emmaüs: Reste avec nous, le soir est arrivé
Et le soleil se couche.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et dans la nuit,
En communion de prière avec les nombreux malades
Et les personnes seules,
J’attendrai l’aurore
Pour chanter à nouveau ta miséricorde
Et dire à tout le monde que,
Dans les tempêtes,
Tu as été mon refuge.

Je reste à la maison, Seigneur !
Et je ne me sens pas seul et abandonné,
Parce que tu me l’as dit :
Je suis avec vous tous les jours.
Oui, et surtout en ces jours
De confusion, ô Seigneur,
Dans lesquels, si ma présence n’est pas nécessaire,
Je vais atteindre chacun, uniquement avec les ailes de la prière.

Amen.

La Speranza (une religieuse milanaise)

La Speranza en Italie ces jours-ci, c’est le ciel d’un bleu dépollué et provocant, c’est le soleil qui brille obstinément sur les rues désertes, et qui s’introduit en riant dans ces maisonnées qui apprennent à redevenir familles.

La Speranza ce sont ces post-it anonymes par centaines qui ont commencé à couvrir les devantures fermées des magasins, pour encourager tous ces petits commerçants au futur sombre, à Bergame d’abord, puis, comme une onde d’espérance – virale elle aussi – en Lombardie, avant de gagner toute l’Italie : « Tutto andrà bene » (et comment ne pas penser à ces paroles de Jésus à Julienne de Norwich « …ma tutto sarà bene e tutto finirà bene »* ?),

La Speranza c’est la vie qui est plus forte et le printemps qui oublie de porter le deuil et la peur, et avance inexorablement, faisant verdir les arbres et chanter les oiseaux.

La Speranza ce sont tous ces professeurs exemplaires qui doivent en quelques jours s’improviser créateurs et réinventer l’école, et se plient en huit pour affronter avec courage leurs cours à préparer, les leçons online et les corrections à distance, tout en préparant le déjeuner, avec deux ou trois enfants dans les pattes.

La Speranza, tous ces jeunes, qui après les premiers jours d’inconscience et d’insouciance, d’euphorie pour des « vacances » inespérées, retrouvent le sens de la responsabilité, et dont on découvre qu’ils savent être graves et civiques quand il le faut, sans jamais perdre créativité et sens de l’humour : et voilà que chaque soir à 18h, il y aura un flashmob pour tous… un flashmob particulier. Chacun chez soi, depuis sa fenêtre… et la ville entendra résonner l’hymne italien, depuis tous les foyers, puis les autres soirs une chanson populaire, chantée à l’unisson. Parce que les moments graves unissent.

La Speranza, tous ces parents qui redoublent d’ingéniosité et de créativité pour inventer de nouveaux jeux à faire en famille, et ces initiatives de réserver des moments « mobile-free » pour tous, pour que les écrans ne volent pas aux foyers tout ce Kairos qui leur est offert.

La Speranza – après un premier temps d’explosion des instincts les plus primaires de survie (courses frénétiques au supermarché, ruée sur les masques et désinfectants, exode dans la nuit vers le sud…) – ce sont aussi les étudiants qui, au milieu de tout ça, ont gardé calme, responsabilité et civisme… qui ont eu le courage de rester à Milan, loin de leurs familles, pour protéger leurs régions plus vulnérables, la Calabre, la Sicile… mais surtout qui résistent encore à cet autre instinct primaire de condamner et de montrer du doigt pleins de rage ou d’envie, ceux qui n’ont pas eu la force de se voir un mois isolés, loin de leur famille, et qui ont fui.

La Speranza c’est ce policier qui, lors des contrôles des « auto-certificats » et tombant sur celui d’une infirmière qui enchaîne les tours et retourne au front, s’incline devant elle, ému : « Massimo rispetto ».

Et la Speranza bien sûr, elle est toute concentrée dans cette « camicia verde » des médecins et le dévouement de tout le personnel sanitaire, qui s’épuisent dans les hôpitaux débordés, et continuent le combat. Et tous de les considérer ces jours-ci comme les véritables « anges de la Patrie ».

Mais la Speranza c’est aussi une vie qui commence au milieu de la tourmente, ma petite sœur qui, en plein naufrage de la Bourse, met au monde un petit Noé à deux pays d’ici, tandis que tout le monde se replie dans son Arche, pour la « survie », non pas des espèces cette fois-ci, mais des plus vulnérables.

Et voilà la Speranza, par-dessus tout : ce sont ces pays riches et productifs, d’une Europe que l’on croyait si facilement disposée à se débarrasser de ses vieux, que l’on pensait cynique face à l’euthanasie des plus « précaires de la santé »… les voilà ces pays qui tout d’un coup défendent la vie, les plus fragiles, les moins productifs, les « encombrants » et lourds pour le système-roi, avec le fameux problème des retraites…
Et voilà notre économie à genoux. À genoux au chevet des plus vieux et des plus vulnérables.
Tout un pays qui s’arrête, pour eux…

Et en ce Carême particulier, un plan de route nouveau : traverser le désert, prier et redécouvrir la faim eucharistique. Vivre ce que vivent des milliers de chrétiens de par le monde. Retrouver l’émerveillement. Sortir de nos routines…

Et dans ce brouillard total, naviguer à vue, réapprendre la confiance, la vraie. S’abandonner à la Providence.

Et apprendre à s’arrêter aussi. Car il fallait un minuscule virus, invisible, dérisoire, et qui nous rit au nez, pour freiner notre course folle.

Et au bout, l’espérance de Pâques, la victoire de la vie à la fin de ce long carême, qui sera aussi explosion d’étreintes retrouvées, de gestes d’affection et d’une communion longtemps espérée, après un long jeûne.

Et l’on pourra dire avec saint François « Loué sois-Tu, ô Seigneur, pour fratello Coronavirus, qui nous a réappris l’humilité, la valeur de la vie et la communion ! ».

Courage, n’ayez pas peur : Moi, j’ai vaincu le monde ! (Jn 16, 33)

* “Il peccato è inevitabile, ma tutto sarà bene, e ogni sorta di cose sarà bene. […] Dal momento che ho trasformato in bene il danno più grande, dovete dedurre che trasformerò in bene qualsiasi altro male, che di quello è più piccolo”. Giuliana di Norwich, Libro delle Rivelazioni